Noé-Longages et sa gare, enjeux de mémoire

Publié le par lambeaux

LE MONDE | 29.03.06 | 14h09  •  Mis à jour le 29.03.06 | 17h32

 

 

A une quarantaine de kilomètres au sud de Toulouse, la gare commune aux villages de Noé et de Longages (Haute-Garonne) est fermée de longue date. Il ne subsiste plus qu'une "halte" SNCF, dotée d'un distributeur automatique de billets "momentanément hors service". Mais une plaque commémorative apposée sur la façade va bientôt rappeler aux propriétaires de la trentaine de voitures qui emplissent quotidiennement le parking que de nombreux trains de déportés sont partis d'ici, entre 1942 et 1944, direction Auschwitz-Birkenau, via Drancy.

Le dernier train s'est ébranlé le 30 juillet 1944, quelques jours seulement avant la libération de la région, avec près de 1 400 personnes à bord. Ironie de l'histoire, la seule affiche sur le mur de la salle d'attente déserte et dégradée vante aujourd'hui la découverte touristique de l'Allemagne avec la "Tourist Karte" du chemin de fer fédéral allemand.

 

La cérémonie de pose de la plaque, vendredi 31 mars, s'annonce intime, voire confidentielle. Les maires des deux communes concernées ne pensent pas y assister. Ils font valoir qu'ils n'ont pas été officiellement invités. Le directeur régional de la SNCF déléguera un adjoint. Le principal instigateur de la pose de cette plaque, Kurt Werner Schaechter, 85 ans, a prévu de faire l'aller-retour dans la journée depuis la région parisienne, où il réside. Plus de dix heures de train pour quelques minutes de cérémonie. "Ce sera furtif, sans musique ni grands discours", résume un ami toulousain du vieil homme, qu'il a assisté tout au long des quinze années passées à lutter pour que le passé ne s'efface pas.

 

Fils de juifs autrichiens déportés du camp de Noé, Kurt Werner Schaechter a fait de l'exercice du devoir de mémoire un combat personnel, mené en franc-tireur. Il s'est illustré, au début des années 1990, en photocopiant clandestinement des milliers de documents aux archives de la Haute-Garonne. D'après ses calculs, plus de 250 000 personnes auraient transité par le camp de Noé, avant d'être embarquées à bord des trains à la gare, distante d'un kilomètre du camp à vol d'oiseau. "Presque tous les trains de déportés partaient de là, c'était la gare la plus importante de tout le Sud-Ouest, elle permettait d'éviter les gares des grandes villes", assure M. Werner Schaechter pour expliquer le rôle historique de cette halte, perdue en rase campagne.

 

La SNCF, qui avait accueilli en 2004, dans de nombreuses gares, une exposition de l'association des Fils et Filles de déportés juifs de France présidée par Serge Klarsfeld, ne souhaite visiblement pas épiloguer. La plaque de Noé est aussi une façon pour l'entreprise d'essayer d'apaiser Kurt Werner Schaechter, qui lui avait vainement intenté un procès au nom de l'association qu'il a fondée, Ethic (Enquête sur la tragique histoire des internements dans les camps).

 

Pour cet ancien légionnaire obstiné, le combat n'est pas terminé. Il poursuit inlassablement le maire de Noé pour obtenir qu'une autre plaque soit apposée sur le stade de la commune, dont les vestiaires et la tribune ont été bâtis sur l'un des bâtiments du camp. Une autre construction, qui abritait un atelier de confection de bonneterie, a brûlé en 2005. D'autres encore servent de salles municipales pour des activités associatives. Kurt Werner Schaechter ne se privera pas de le rappeler lors de son petit laïus à la gare.

 

Le maire, Jean-Pierre Feuillerac (div. d.), le sait. Lassé d'être traité de "maréchaliste" dans les salves de courriers adressés par le fondateur de l'association Ethic, il refuse désormais de lui parler. A ses yeux, M. Werner Schaechter "ne fait pas de l'histoire, mais de la politique". Il estime que les stèles apposées au cimetière communal suffisent à rappeler ce moment d'histoire peu glorieux de Noé et souligne que le tribunal administratif de Toulouse lui a donné raison. Le procès doit maintenant être examiné par la cour d'appel de Bordeaux.

 

Stéphane Thépot

Article paru dans l'édition du 30.03.06

Publié dans Haute-Garonne (31)

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